Lire « Les Fleurs du mal » (1857-1861-1867) – En guise de sommaire…

L’œuvre que vous allez lire, Les Fleurs du mal de Baudelaire, est une œuvre complexe à plusieurs titres :

  • La langue employée, même si elle ressemble beaucoup à la nôtre, peut s’avérer plus complexe à comprendre qu’il y parait. C’est le fait de l’emploi d’un vocabulaire recherché, parfois contraint par les choix métriques opérés (rédaction en alexandrins, mise en place des rimes…). En cas de doute, de moindre doute, rechercher le terme dans un dictionnaire. Vous pouvez consulter, en ligne, un grand nombre de dictionnaires de la langue française, réunis par le Centre National de Recherche Textuelle et Lexicale (CNRTL) dans la rubrique « lexicographie ».
  • L’histoire et la a structure du recueil (voir la fiche consacrée à cet élément)
  • Les thèmes développés par Baudelaire qui tiennent autant à la personnalité de l’auteur que de l’Histoire et de l’histoire littéraire de la première moitié du XIXe siècle (voir la fiche « Baudelaire dans son siècle »)
  • Le style et la métrique : l’ensemble des éléments formels qui reprennent les codes hérités du XVIIe siècle mais en les modifiant profondément.

Sommaire

Français 1ère2

Séquence I – Baudelaire

  1. Baudelaire dans son siècle
    • Biographie de Baudelaire
    • Contexte historique
    • Romantisme, Parnasse, Symbolisme
  2. Baudelaire et les femmes
    • Jeanne Duval
    • Marie Daubrun
    • Apollonie Sabatier
  3. Histoire et structure du recueil
    • Histoire du recueil, les trois éditions
    • Structure du recueil de 1861
    • Sommaire des Fleurs du mal (1861)

Séquence II – Marivaux

  • Vie de Marivaux
  • Contexte historique
  • La Querelle des Anciens et des Modernes
  • L’œuvre

Séquence III – Rabelais




Méthode

  1. Présentation de l’épreuve orale du bac
  2. Propositions d’organisation du temps de travail (110 minutes et 4h)
  3. Comprendre sa note en français
  4. Introduction et conclusion
  5. Le commentaire linéaire (oral)
  6. Ficher les textes de l’oral
  7. La prise de notes et la restitution des notes
  8. L’argumentation et les stratégies argumentatives

Histoire et structure du recueil

Histoire du recueil : les trois éditions

Le recueil des Fleurs du mal est le fruit d’un long processus d’élaboration, commencé, nous l’avons vu, dès les années 1845, soit douze ans avant sa première publication. Dans un premier temps, Baudelaire publie quelques poèmes, isolés les uns des autres dans des revues assez confidentielles. Toutefois, en juin 1855, il publie un ensemble de dix-huit poèmes sous le titre « Fleurs du mal ».

Il faut attendre le 25 juin 1857 pour que Les Fleurs du mal paraissent. Le recueil comporte alors 53 pièces non encore publiées.

Première page du recueil annotée de la main de Baudelaire pour y apporter les dernières modifications avant l’impression définitive.

Le dimanche 5 juillet, seulement onze jours après la parution du recueil, un article de Gustave Bourdin en une du Figaro, critique violemment le recueil et son auteur. Il écrit :

« M. Charles Baudelaire est, depuis une quinzaine d’années, un poète immense pour un petit cercle d’individus dont la vanité, en le saluant Dieu ou à peu près, faisait une assez bonne spéculation ; ils se reconnaissaient inférieurs à lui, c’est vrai ; mais en même temps, il se proclamaient supérieurs à tous les gens qui niaient ce messie. Il fallait entendre ces messieurs apprécier les génies à qui nous avons voué notre culte et notre admiration : Hugo était un cancre, Béranger un cuistre, Alfred de Musset un idiot, et madame Sand une folle. Lessailly avait bien dit : Christ va-nu-pied, Mahomet vagabond et Napoléon crétin. – Mais on ne choisit ni ses amis ni ses admirateurs, et il serait trop injuste d’imputer à M. Baudelaire des extravagances qui ont dû plus d’une fois lui faire lever les épaules. Il n’a eu qu’un tort à nos yeux, celui de rester trop longtemps inédit. Il n’avait encore publié qu’un compte rendu de Salon très vanté par les docteurs en esthétique, et une traduction d’Edgar Poe. Depuis trois fois cinq ans, on attendait donc ce volume de poésies ; on l’a attendu si longtemps, qu’il pourrait arriver quelque chose de semblable à ce qui se produit quand un dîner tarde trop à être servi ; ceux qui étaient des plus affamés sont les plus vite repus : – l’heure de leur estomac est passée.
Il n’en est pas de même de votre serviteur. Pendant que les convives attendaient avec une si vive impatience, il dînait ailleurs tranquillement et sainement, – et il arrivait l’estomac bien garni pour juger seulement du coup d’œil. Ce serait à recommencer que j’en ferais autant.

J’ai lu le volume, je n’ai pas de jugement à prononcer, pas d’arrêt à rendre ; mais voici mon opinion que je n’ai la prétention d’imposer à personne.

On ne vit jamais gâter si follement d’aussi brillantes qualités. Il y a des moment où l’on doute de l’état mental de M. Baudelaire : il y en a où l’on n’en doute plus : – c’est, la plupart du temps, la répétition monotone et préméditée des mêmes mots, des mêmes pensées. – L’odieux y coudoie l’ignoble ; – le repoussant s’y allie à l’infect. Jamais on ne vit mordre et même mâcher autant de seins dans si peu de pages ; jamais on n’assista à une semblable revue de démons, de fœtus, de diable, de chloroses, de chats et de vermine. – Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l’esprit, à toutes les putridités du cœur ; encore si c’était pour les guérir, mais elles sont incurables.

Un vers de M. Baudelaire résume admirablement sa manière ; pourquoi n’en a-t-il pas fait l’épigraphe des fleurs du mal ?

"Je suis un cimetière abhorré de la lune"

Et au milieu de tout cela, quatre pièces, « Le Reniement de saint Pierre, » puis « Lesbos« , et deux qui ont pour titre « Les Femmes damnées« , quatre chefs-d’œuvre de passion, d’art et de poésie ; mais on peut le dire, – il le faut, on le doit : – si l’on comprend qu’à vingt ans l’imagination d’un poète puisse se laisser entraîner à traiter de semblables sujets, rien ne peut justifier un homme de plus de trente d’avoir donné la publicité du livre à de semblables monstruosités. »

(Le Figaro, 5 juillet 1857)

Quelques jours après cette charge accablante, J. Habans, autre journaliste du Figaro, en signe une seconde :

« Avec M. Charles Baudelaire, c’est de cauchemar qu’il faut parler. « Les Fleurs du mal« , qu’il vient de publier, sont destinées, suivant lui, à chasser l’ennui « qui rêve d’échafauds en fumant son houka. » Mais l’auteur n’a pas pris garde qu’il remplaçait le bâillement par la nausée. Lorsqu’on ferme le livre après l’avoir lu tout entier comme je viens de le faire, il reste dans l’esprit une grande tristesse et une horrible fatigue. Tout ce qui n’est pas hideux y est incompréhensible, tout ce que l’on comprend est putride, suivant la parole de l’auteur. J’en excepterai pourtant les cinq dernières strophes de la pièce intitulée « Bénédiction« , « Élévation » et « Don Juan aux Enfers« . De tout le reste, en vérité, je n’en donnerais pas un piment… et je n’aime pas le poivre ! Toutes ces horreurs de charnier étalées à froid, ces abîmes d’immondices fouillés à deux mains et les manches retroussées, devaient moisir dans un tiroir maudit. Mais on croyait au génie de M. Baudelaire, il fallait exposer l’idole longtemps cachée à la vénération des fidèles. Et voila qu’au grand jour l’aigle s’est transformé en mouche, l’idole est pourrie et les adorateurs fuient en se bouchant le nez. Il en coûte assez cher de jouer au grand homme à huis clos, et de ne savoir pas à propos brûler ces élucubrations martelées à froid dans la rage de l’impuissance. On en arrive à se faire prendre au mot lorsqu’on dit :

Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis 
Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits, 
Il arrive souvent que sa voix affaiblie 
Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie, 
Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts, 
Et qui meurt SANS BOUGER, DANS D'IMMENSES EFFORTS !

Comme c’est vrai, tout cela ! et comme je donne raison à M. Baudelaire, lorsqu’il se juge ainsi ! Allons, un Requiem par là-dessus, et qu’on n’en parle plus.

(Le Figaro, 12 juillet 1857)

Ces deux jugements sont suivis, dès le 16 juillet 1857 d’un procès intenté par le Procureur Pinard pour outrage à la moralité (publique et religieuse), du fait, en particulier des poèmes incriminés par Bourdin. Le 21 août, la condamnation tombe, elle est moins lourde que ce que requérait le procureur du fait de l’intervention des amis de Baudelaire (Théophile Gautier et Barbey d’Aurevilly notamment ont plaidé la cause de Baudelaire directement auprès de l’impératrice Eugénie), mais six pièces sont pourtant interdites (« Lesbos », « Femmes damnées », « Le Léthé », « À celle qui est trop gaie », « Les Bijoux », « Les Métamorphoses du vampire »), Baudelaire est finalement condamné à 250 francs d’amende et son éditeur à 100 francs (se souvenir que le notaire qui gère la fortune de Baudelaire lui verse une rente mensuelle de 200 francs, seulement).

L’élément le plus important pour Baudelaire est le fait que l’interdiction de ces poèmes ruinent l’intégralité de l’unité du recueil telle qu’il l’avait pensée. C’est la raison pour laquelle il se remet au travail pour refondre l’ensemble des Fleurs du mal, ce qui aboutit en 1861 au recueil tel que nous l’étudions aujourd’hui.

En 1868, parait à titre posthume, une nouvelle édition des Fleurs du mal. Baudelaire avait pour projet d’y ajouter 25 pièces supplémentaires, sans modifier pour autant la structure du recueil de 1861. Cette édition n’a pas été revue par l’auteur ce qui justifie le fait que l’édition de référence soit la deuxième.

Structure du recueil de 1861

Nom de la section185718611868
Spleen et idéal77 poèmes85 poèmes107 poèmes
Tableaux parisiens018 poèmes20 poèmes
Le Vin
(entre Révolte et La Mort en 1857)
5 poèmes5 poèmes5 poèmes
Fleurs du mal12 poèmes9 poèmes10 poèmes
Révolte3 poèmes3 poèmes3 poèmes
La mort3 poèmes6 poèmes6 poèmes
Nombre total de poèmes100126151
Schéma synthétique de la structure du recueil et évolution quantitative de la production.

Le recueil est organisé en 5 sections en 1857 et en six dès 1861 (la section « Tableaux parisiens » n’apparaît qu’alors).

La première section, « Spleen et Idéal », est de loin la plus importante. C’est celle qui pose la double aspiration de l’homme : d’une part le rêve de l’idéal, exprimé le plus souvent par l’exotisme et l’évocation d’un ailleurs, d’autre part, la sordide réalité de l’ici, qui pousse le poète au désespoir et au spleen. L’ordre des poèmes dessine une déchéance qui part de la quête de l’idéal et de la beauté, pratiquement réalisable, jusqu’aux gouffres les plus profonds de l’ennui et de la mélancolie, en particulier du fait du temps qui passe :

"La Cloche fêlée"

Il est amer et doux, pendant les nuits d’hiver,
D’écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s’élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.

Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu’un vieux soldat qui veille sous la tente !

Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu’en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l’air froid des nuits,
Il arrive souvent que sa voix affaiblie

Semble le râle épais d’un blessé qu’on oublie
Au bord d’un lac de sang, sous un grand tas de morts,
Et qui meurt, sans bouger, dans d’immenses efforts. 

L’insertion des tableaux parisiens, en 1861, permet au poète d’inscrire son recueil dans la modernité. C’est dans la ville et ses architectures nouvelles que Baudelaire cherche le salut.

"Le Soleil"


Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
Les persiennes, abri des secrètes luxures,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.

Ce père nourricier, ennemi des chloroses,
Éveille dans les champs les vers comme les roses ;
Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C’est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le cœur immortel qui toujours veut fleurir !

Quand, ainsi qu’un poëte, il descend dans les villes,
Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s’introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.

Pourtant, le recours au « paradis artificiels » est inévitable. Le vin est ici célébré, à la fois comme moyen d’oubli et du rêve.

"L'Âme du vin"


Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles :
« Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité !

Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme ;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,

Car j’éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.

Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant ?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifieras et tu seras content ;

J’allumerai les yeux de ta femme ravie ;
À ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour ce frêle athlète de la vie
L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs.

En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l’éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! »

Assez logiquement, ce vin mène le poète à la lascivité et à la débauche, c’est-à-dire à la section Fleurs du mal proprement dite. C’est dans cette section que le plus grand nombre de poèmes ont été condamnés (« Lesbos« , « Femmes damnées » et « Les Métamorphoses du vampire« ).

"Allégorie"

C’est une femme belle et de riche encolure,
Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.
Les griffes de l’amour, les poisons du tripot,
Tout glisse et tout s’émousse au granit de sa peau.
Elle rit à la Mort et nargue la Débauche,
Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche,
Dans ses jeux destructeurs a pourtant respecté
De ce corps ferme et droit la rude majesté.
Elle marche en déesse et repose en sultane ;
Elle a dans le plaisir la foi mahométane,
Et dans ses bras ouverts, que remplissent ses seins,
Elle appelle des yeux la race des humains.
Elle croit, elle sait, cette vierge inféconde
Et pourtant nécessaire à la marche du monde,
Que la beauté du corps est un sublime don
Qui de toute infamie arrache le pardon.
Elle ignore l’Enfer comme le Purgatoire,
Et quand l’heure viendra d’entrer dans la Nuit noire,
Elle regardera la face de la Mort,
Ainsi qu’un nouveau-né, — sans haine et sans remord.

Le poète se tourne alors vers Satan, comme ultime recours dans sa quête de l’Idéal. Car, au-delà de la figure du mal, Satan est l’ange déchu, celui qui s’est révolté contre Dieu. Invoquer Satan, c’est donc tenter de nouer avec lui un pacte prométhéen, quand Dieu s’est montré décevant. D’où cette Révolte à double sens, qui est à la fois une prière à Dieu et au Diable, et peut-être aux hommes.

"Les Litanies à Satan" (Prière)

Gloire et louage à toi, Satan, dans les hauteurs
Du Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs
De l’Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence !
Fais que mon âme un jour, sous l’Arbre de Science,
Près de toi se repose, à l’heure où sur ton front
Comme un Temple nouveau ses rameaux s’épandront !

Enfin, vient La Mort, repos définitif de cette quête désespérée, mais qui n’est pas pour autant un échec. Par le biais de la poésie, l’homme si réconcilie avec l’idéal qui le hante :

"Le Voyage" (VIII)

Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !

Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau, 
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !

Sommaire des Fleurs du mal (édition 1861)

Le recueil peut se lire, section par section, en suivant la longue descente de l’idéal dans le spleen jusqu’au voyage ultime. La section la plus dense, la première, « Spleen et idéal », peut, pour une question de commodité de lecture, être scindée (ce n’est pas le choix de l’auteur) en sous-sections plus faciles à appréhender parce qu’elles donnent une forme d’unité aux groupes de poèmes qui les composent.

Le sommaire de l’œuvre, avec les sous-section est le suivant :

SPLEEN ET IDEAL
Cycle de l'art
 
I. Bénédiction
II. L'Albatros (1861)
III. Élévation
IV. Correspondances
V. « J'aime le souvenir de ces époques nues... »
VI. Les Phares
VII. La Muse malade
VIII. La Muse vénale
IX. Le Mauvais Moine
X. L'Ennemi
XI. Le Guignon
XII. La Vie antérieure
XIII. Bohémiens en Voyage
XIV. L'Homme et la Mer
XV. Don Juan aux Enfers
XVI. Châtiment de l'Orgueil
XVII. La Beauté
XVIII. L'Idéal
XIX. La Géante
XX. Le Masque (1861)
XXI. Hymne à la Beauté (1861)
 
Cycle de l'amour
Jeanne Duval
XXII. Parfum exotique
XXIII. La Chevelure (1861)
XXIV. « Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne... »
XXV. « Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle... »
XXVI. Sed non satiata [Mais non pas satisfaite]
XXVII. « Avec ses vêtements ondoyants et nacrés... »
XXVIII. Le Serpent qui danse
XXIX. Une Charogne
XXX. De profundis clamavi [premiers mots du psaume CXXIX "Du fond de l'abîme j'ai crié"]
XXXI. Le Vampire
XXXII. « Une nuit que j'étais près d'une affreuse Juive... »
XXXIII. Remords posthume
XXXIV. Le Chat
XXXV. Duellum (1861) [La guerre]
XXXVI. Le Balcon
XXXVII. Le Possédé (1861)
XXXVIII. Un Fantôme (1861)
XXXIX. « Je te donne ces vers afin que si mon nom... »
Apollonie Sabatier
XL. Semper Eadem (1861) [Toujours la même]
XLI. Tout entière
XLII. « Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire... »
XLIII. Le Flambeau vivant
XLIV. Réversibilité
XLV. Confession
XLVI. L'Aube spirituelle
XLVII. Harmonie du Soir
XLVIII. Le Flacon
Marie Daubrun
XLIX. Le Poison
L. Ciel brouillé
LI. Le Chat
LII. Le Beau Navire
LIII. L'Invitation au Voyage
LIV. L'Irréparable
LV. Causerie
LVI. Chant d'Automne (1861)
LVII. À une Madone (1861)
Femmes peu connues
LVIII. Chanson d'Après-midi (1861)
LIX. Sisina (1861) [allusion à Elisa Néri, actrice]
LX. Franciscae meae laudes [Louanges de ma Françoise - seul poème en latin de tout le recueil]
LXI. À une Dame créole
LXII. Moesta et errabunda [triste et vagabonde]
LXIII. Le Revenant (1861)
LXIV. Sonnet d'Automne (1861)
 
Cycle du spleen
LXV. Tristesses de la Lune (1861)
LXVI. Les Chats
LXVII. Les Hiboux
LXVIII. La Pipe (1861)
LXIX. La Musique (1861)
LXX. Sépulture (1861)
LXXI. Une Gravure fantastique (1861)
LXXII. Le Mort joyeux (1861)
LXXIII. Le Tonneau de la Haine (1861)
LXXIV. La Cloche fêlée
LXXV. Spleen
LXXVI. Spleen
LXXVII. Spleen
LXXVIII. Spleen
LXXIX. Obsession (1861)
LXXX. Le Goût du Néant (1861)
LXXXI. Alchimie de la Douleur (1861)
LXXXII. Horreur sympathique (1861)
LXXXIII. L'Héautontimorouménos (1861) [Le bourreau de soi-même]
LXXXIV. L'Irrémédiable
LXXXV. L'Horloge (1861)
 
TABLEAUX PARISIENS
 
LXXXVI. Paysage
LXXXVII. Le Soleil
LXXXVIII. À une mendiante rousse
LXXXIX. Le Cygne
XC. Les sept Vieillards
XCI. Les petites Vieilles
XCII. Les Aveugles
XCIII. À une passante
XCIV. Le Squelette laboureur
XCV. Le Crépuscule du soir
XCVI. Le Jeu
XCVII. Danse macabre
XCVIII. L'Amour du mensonge
XCIX. Je n'ai pas oublié, voisine de la ville
C. La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse
CI. Brumes et Pluies
CII. Rêve parisien
CIII. Le Crépuscule du matin
 
LE VIN
 
CIV. L'Âme du vin
CV. Le Vin des chiffonniers
CVI. Le Vin de l'assassin
CVII. Le Vin du solitaire
CVIII. Le Vin des amants
 
FLEURS DU MAL
 
CIX. La Destruction
CX. Une Martyre
CXI. Femmes damnées
CXII. Les deux bonnes Sœurs
CXIII. La Fontaine de sang
CXIV. Allégorie
CXV. La Béatrice
CXVI. Un Voyage à Cythère
CXVII. L'Amour et le Crâne
 
RÉVOLTE
 
CXVIII. Le Reniement de saint Pierre
CXIX. Abel et Caïn
CXX. Les Litanies de Satan
 
LA MORT
 
CXXI. La Mort des amants
CXXII. La Mort des pauvres
CXXIII. La Mort des artistes
CXXIV. La Fin de la journée
CXXV. Le Rêve d'un curieux
CXXVI. Le Voyage
 
PIÈCES CONDAMNÉES EN 1857
 
Lesbos
Femmes damnées (Delphine et Hippolyte)
Le Léthé
À celle qui est trop gaie
Les Bijoux
Les Métamorphoses du vampire

Baudelaire et les femmes

Les femmes sont une source d’inspiration et un sujet poétique centraux dans les poèmes des Fleurs du mal.

Sa relation à la gent féminine est ambiguë et hésite entre répulsion teintée de mépris et adoration. Cet antagonisme est visible, entre autres, dans deux poèmes successifs du recueil, les poèmes XXIV et XXV :

XXIV

Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne,
Ô vase de tristesse, ô grande taciturne,
Et t'aime d'autant plus, belle, que tu me fuis,
Et que tu me parais, ornement de mes nuits,
Plus ironiquement accumuler les lieues
Qui séparent mes bras des immensités bleues.

Je m'avance à l'attaque, et je grimpe aux assauts,
Comme après un cadavre un cœur de vermisseaux, 
Et je chéris, ô bête implacable et cruelle !
Jusqu'à cette froideur par où tu m'es plus belle !
XXV

Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle, 
Femme impure ! L'ennui rend ton âme cruelle.
Pour exercer tes dents à ce jeu singulier,
Il te faut chaque jour un cœur au râtelier.
Tes yeux, illuminés ainsi que des boutiques
Et des ifs flamboyants dans les fêtes publiques, 
Usent insolemment d'un pouvoir emprunté,
Sans connaître jamais la loi de leur beauté.

Machine aveugle et sourde, en cruauté féconde !
Salutaire instrument, buveur du sang du monde,
Comment n'as-tu pas honte et comment n'as-tu pas
Devant tous les miroirs vu pâlir tes appas ?
La grandeur de ce mal où tu te crois savante
Ne t'a donc jamais fait reculer d'épouvante,
Quand la nature, grande en ses desseins cachés,
De toi se sert, ô femme, ô reine des péchés,
- De toi, vil animal, - pour pétrir un génie ?

Ô fangeuse grandeur ! sublime ignominie !

Dans l’un comme dans l’autre poème, on voit clairement que la position de Baudelaire n’est pas univoque. Si le premier est globalement élogieux (vocabulaire mélioratif, voire laudatif), certains éléments sont plus négatifs (« vase de tristesse », comparaison au « cadavre – cf. aussi le poème « une charogne« ), le second poème est globalement négatif (« femme impure »), quoique des éléments positifs viennent tenter d’apporter une sorte de contrepoint (« beauté », « grandeur », « sublime »).

On sait que trois femmes ont eu une influence marquée dans la vie de Baudelaire, femmes que l’on trouve, en filigrane, dans bon nombre de poèmes du recueil :

  • Jeanne Duval. Le grand amour de Baudelaire, une métisse « qui portait bien sa brute tête ingénue et superbe, couronnée d’une chevelure violemment crêpelée » (d’après la description qu’en fait Théodore de Banville). Baudelaire la rencontre à la fin de l’année 1842. Elle est « le seul être en qui j’aie trouvé quelque repos […], la seule femme que j’aie aimée ». Leur vie commune dure d’avril 1851 à mai 1852. Elle reprend brièvement en 1860. Mais jamais pourtant le poète ne l’a véritablement abandonnée, même après la paralysie qui la frappe en 1859. Elle est la femme aux yeux noirs et inspire au poète de très nombreux poèmes, tous marqués par une forte sensualité.
Jeanne Duval, dessin de Baudelaire
La chevelure

Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !

La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !
Comme d’autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.

J’irai là-bas où l’arbre et l’homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l’ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle qui m’enlève !
Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :

Un port retentissant où mon âme peut boire
À grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l’or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D’un ciel pur où frémit l’éternelle chaleur.

Je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse
Dans ce noir océan où l’autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé !

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l’azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m’enivre ardemment des senteurs confondues
De l’huile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?
  • Marie Daubrun (auparavant Marie Bruneau puis Marie d’Aubrun) est actrice. Baudelaire l’a probablement vue en 1847 dans le rôle de La Belle aux cheveux d’or. Leur liaison durant l’année 1854 est de courte durée. Elle s’affiche l’année suivante avec le poète Théodore de Banville. Elle est la femme aux yeux verts, dont Baudelaire célèbre le corps et la spiritualité.
Chant d'automne

I
Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !
J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.

Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère,
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon cœur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.

J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;
L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui ? — C’était hier l’été ; voici l’automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

II
J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est amer,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre,
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.

Et pourtant aimez-moi, tendre cœur ! soyez mère,
Même pour un ingrat, même pour un méchant ;
Amante ou sœur, soyez la douceur éphémère
D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant.

Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide !
Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,
Goûter, en regrettant l’été blanc et torride,
De l’arrière-saison le rayon jaune et doux !
  • Apollonie Sabatier est la femme aux yeux bleus. Baudelaire lui voue un amour idéalisé et non avoué. Il lui envoie pendant trois ans, de façon anonyme quantité de poèmes. Dans une de ses lettres il lui écrit en 1854 « jamais amour ne fut plus désintéressé, plus idéal, plus pénétré de respect que celui que je nourris secrètement pour vous ». Trois ans plus tard, après qu’elle s’est offerte à lui, il rompt en lui adressant le message suivant :  » Il y a quelques jours, tu étais une divinité, ce qui est si commode, si beau, si inviolable. Te voilà femme maintenant ».
Apollonie Sabatier peinte par Vincent Vidal (XIXe siècle – Musée national du château de Compiègne)
Le flambeau vivant

Ils marchent devant moi, ces Yeux pleins de lumières,
Qu’un Ange très-savant a sans doute aimantés ;
Ils marchent, ces divins frères qui sont mes frères,
Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés.

Me sauvant de tout piége et de tout péché grave,
Ils conduisent mes pas dans la route du Beau ;
Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave ;
Tout mon être obéit à ce vivant flambeau.

Charmants Yeux, vous brillez de la clarté mystique
Qu’ont les cierges brûlant en plein jour ; le soleil
Rougit, mais n’éteint pas leur flamme fantastique ;

Ils célèbrent la Mort, vous chantez le Réveil ;
Vous marchez en chantant le réveil de mon âme,
Astres dont nul soleil ne peut flétrir la flamme !

A ces trois femmes, correspondent, schématiquement, trois types de femmes présentes dans Les Fleurs du mal :

  • la femme aux yeux noirs : symbole d’exotisme, de désir charnel et l’essence démoniaque des femmes ;
  • la femme aux yeux verts : symbole de sororité, de tendresse mais aussi du caractère peu fiable des femmes ;
  • la femme aux yeux bleus : symbole d’angélisme, d’adoration, de l’idéal inatteignable.

Attention toutefois au raccourci malheureux qui consisterait à identifier catégoriquement une des femmes du recueil à une des trois amantes historiques de Baudelaire, ce serait une erreur en ce sens que Baudelaire, en tant que poète, modifie et transforme la réalité des choses dans l’acte de création poétique (comme tout artiste du reste).

Il ne faut pas oublier que Baudelaire évolue dans une société fortement marquée par la religion catholique. Il n’est donc pas rare de trouver, sous sa plume, nombre de références bibliques. La femme idéale, voire idéalisée, est à rapprocher des personnages de Marie (dans le Nouveau Testament). En revanche, la femme démoniaque est à rapprocher de Lilith ou d’Ève, en ce qu’elle est celle qui, cédant à la tentation du serpent, précipite la chute de l’homme (Genèse, III, 6). Garder en tête aussi que Baudelaire reçoit aussi l’héritage de l’ensemble des auteurs qui le précèdent et qu’il a lu, en particulier Dante, dont le personnage de Béatrice illumine le troisième livre de la Divine Comédie, puisque c’est elle, femme aimée et idéale, qui guide le poète, à travers le Paradis, jusqu’à Dieu.

Par ailleurs, Baudelaire, par sa formation, connaît et a intégré à sa réflexion et à son art, les mythes antiques. Concernant l’amour, c’est le mythe de l’androgyne, raconté par Aristophane, que l’on peut lire dans Le Banquet de Platon (428-348 av. J.-C.) qu’il importe d’avoir en tête, parce que tous les auteurs qui traitent d’amour dans leurs textes depuis l’Antiquité le connaissent et l’emploient de près ou de loin.

Vase grec du IVe siècle avant J.-C. figurant l’androgyne tel que présenté par Aristophane dans Le Banquet.

Baudelaire dans son siècle

Éléments de biographie intégrés à l’histoire de la première moitié du XIXe siècle et à l’histoire littéraire.

Portrait de Charles Baudelaire par Nadar (1855 – Musée d’Orsay, Paris)

NB. Les éléments de biographie seule, s’ils éclairent l’œuvre, ne se suffisent pas (inutile donc en introduction de commentaire composé ou d’explication de texte de noter tout ce que vous savez de la vie de l’auteur, ne choisissez que ce qui est pertinent à votre explication). Ces éléments ne prennent sens que si vous replacez l’auteur dans son contexte de vie, époque, lieu et environnement artistique.

Biographie de Baudelaire

Charles Baudelaire naît à Paris en 1821 et meurt dans la même ville, à 46 ans à peine, en 1867.

Son père grand amateur et collectionneur d’art, lui donne le goût des belles choses mais meurt quand Baudelaire n’a que 5 ans. Sa mère se remarie rapidement avec un militaire de carrière, le Général Aupick, l’antithèse de son père aux yeux du jeune Baudelaire.

Il est ensuite l’élève brillant quoique taciturne d’un collège lyonnais et du lycée Louis-le-Grand à Paris ; il s’inscrit, après avoir obtenu son baccalauréat, en faculté de droit, mais préfère se complaire dans la fréquentation des artistes marginaux, des noceurs et des prostituées du Quartier Latin. Pour l’éloigner de ces fréquentations, ses parents l’envoient, par la mer, aux Indes. Il ne termine pas ce voyage mais en revient avec des images qui nourissent son imaginaire et créent cet « ailleurs » idéal dont témoignent certains poèmes des Fleurs du mal (FdM), par exemple « La Vie antérieure« , « Parfums exotiques » ou encore « L’Invitation au voyage« .

À son retour, âgé de 20 ans, il fait valoir ses droits sur l’héritage paternel et commence une vie de dandy et dilapide son héritage. Baudelaire définit lui-même le dandy ainsi :

L’homme riche, oisif, et qui, même blasé, n’a pas d’autre occupation que de courir à la piste du bonheur ; l’homme élevé dans le luxe et accoutumé dès sa jeunesse à l’obéissance des autres hommes, celui enfin qui n’a pas d’autre profession que l’élégance, jouira toujours, dans tous les temps, d’une physionomie distincte, tout à fait à part. Le dandysme est une institution vague, aussi bizarre que le duel ; très-ancienne, puisque César, Catilina, Alcibiade nous en fournissent des types éclatants ; très-générale, puisque Chateaubriand l’a trouvée dans les forêts et au bord des lacs du Nouveau-Monde. Le dandysme, qui est une institution en dehors des lois, a des lois rigoureuses auxquelles sont strictement soumis tous ses sujets, quelles que soient d’ailleurs la fougue et l’indépendance de leur caractère. […]

Le dandysme n’est même pas, comme beaucoup de personnes peu réfléchies paraissent le croire, un goût immodéré de la toilette et de l’élégance matérielle. Ces choses ne sont pour le parfait dandy qu’un symbole de la supériorité aristocratique de son esprit. Aussi, à ses yeux, épris avant tout de distinction, la perfection de la toilette consiste-t-elle dans la simplicité absolue, qui est, en effet, la meilleure manière de se distinguer. Qu’est-ce donc que cette passion qui, devenue doctrine, a fait des adeptes dominateurs, cette institution non écrite qui a formé une caste si hautaine ? C’est avant tout le besoin ardent de se faire une originalité, contenu dans les limites extérieures des convenances. C’est une espèce de culte de soi-même, qui peut survivre à la recherche du bonheur à trouver dans autrui, dans la femme, par exemple ; qui peut survivre même à tout ce qu’on appelle les illusions. C’est le plaisir d’étonner et la satisfaction orgueilleuse de ne jamais être étonné. Un dandy peut être un homme blasé, peut être un homme souffrant.

Ch. Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne, « Le Dandy » (Paris, 1885)

Ses parents le font alors reconnaître comme « éternel mineur » et placer sous la tutelle d’un notaire qui lui verse une pension mensuelle. Cela a pour effet de « condamner » Baudelaire à travailler pour subvenir à ses besoins. Il commence à publier des articles en tant que critique d’art dans des recueils (Salon de 1845 et Salon de 1846 notamment), des revues publient quelques un de ses poèmes (qui se retrouvent ensuite réunis dans Les Fleurs du mal), mais ces écrits restent très confidentiels et lui permettent à peine de survivre. Dès 1845, Baudelaire pense à un recueil construit et ordonné de ses poèmes. Il l’échafaude, pièce par pièce, pendant douze ans, mais continue de les publier, ici et là, dans diverses revues (notamment dans la revue des deux mondes qui publie, en juin 1855, un ensemble de dix-huit poèmes sous le titre, déjà, de Fleurs du mal). Dans le même temps, il propose une traduction des nouvelles d’Edgar Allan Poe (1809-1849) qu’il a découvert peu de temps auparavant et en qui il reconnait un alter-ego. Ses traductions des Histoires extraordinaires (traduction publiée en 1856) et des Nouvelles histoires extraordinaires (traduction publiée en 1857).

En juin 1857, il publie enfin Les Fleurs du mal (voir l’article consacré à l’histoire du recueil et à sa structure). Le recueil est vivement attaqué et condamné en justice pour « atteinte aux bonnes mœurs ». Baudelaire reprend son œuvre, la remanie, la complète et la publie pour la deuxième fois en 1861.

Dès 1861, sa santé se dégrade, ses dettes augmentent toujours plus. Il compose, alors des poèmes en prose, publiés après sa mort sous le titre de Spleen de Paris. Entre 1864 et 1866, il se rend à Bruxelles pour tenter d’y faire publier Les Fleurs du mal dans leur version originale non censurée, il donne des conférences sans rencontrer l’accueil et l’écoute escomptés.

Il subit, en mars 1866, une attaque cérébrale causée par la syphilis (maladie sexuellement transmissible) qui le laisse aphasique (troubles du langage) et hémiplégique (paralysie de membres d’une moitié du corps). Il décède en mars 1867 des suites de cette même maladie. Il est inhumé le lendemain de son décès au cimetière du Montparnasse à Paris.


Contexte historique

Le XIXe siècle, est un siècle de profondes mutations, politiques, sociales, scientifiques, technologiques et artistiques.

La période entre la Révolution Française, en 1789, et la chute du Second Empire et la proclamation de la Troisième République (1870), celle durant laquelle vivent les auteurs romantiques (Hugo, Lamartine, Vigny, Musset) et les « petits romantiques » (Baudelaire, Nerval, Gauthier, Lautréamont, Rimbaud), est d’une grande instabilité. On peut s’en persuader en regardant la succession des régimes politiques en France :

DatesNom du régime
Nom du/des dirigeants
Type de régime politiqueDurée
1774-1789Règne de Louis XVIMonarchie absolue15 ans
1789-1792Règne de Louis XVIMonarchie parlementaire3 ans
1792-17951ère RépubliqueRépublique3 ans
1795-1799DirectoireAristocratie 4 ans
1799-1804ConsulatAristocratie5 ans
1804-18151er Empire
Napoléon Ier
Monarchie11 ans
1815-1830Restauration
Louis XVIII (1814-1824)
Charles X (1824-1830)
Monarchie constitutionnelle15 ans
1830-1848Monarchie de Juillet
Louis-Philippe
Monarchie constitutionnelle18 ans
1848-18522ème République
Louis-Napoléon Bonaparte
République4 ans
1852-18702nd Empire
Napoléon III
Monarchie22 ans
En violet la période de vie de Baudelaire (1821-1867).

On le voit, la période est plus qu’instable, politiquement. Mais cette instabilité est aussi le fait de profondes mutation sociales (poussée de la bourgeoisie et affaiblissement de la noblesse, demandes légitimes de plus en plus fortes du peuple).

Certains artistes, notamment parmi les premiers romantiques, prennent part à la vie de l’État et à ses modifications (Hugo est Pair de France, Lamartine est Président de l’Assemblée), parfois à leur corps défendant (Hugo doit s’exiler après le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte en décembre 1851). Baudelaire participe un peu à la révolution de février 1848 mais sa présence est plus une provocation à l’encontre de son beau-père, qu’un véritable fait d’armes.

Tous, qu’ils soient impliqués ou pas dans les événements sont sensible à l’indécision qui préside à leur destinée et ils emploient leur art pour exprimer ce mal-être, cette incertitude face à un monde qui change sans qu’ils puissent y avoir prise. Cette inquiétude confine à la dépression, ce que Baudelaire nomme Spleen (quatre poème de la section « Spleen et Idéal » porte ce titre).

Dans le même temps, les progrès technologiques dus aux révolutions industrielles, redessinent les villes (les travaux du baron Haussmann à Paris par exemple, modifient complètement le paysage parisien comme en témoigne le poème « Le Cygne« ), et renforcent l’impression de perte de repères (par exemple « la dernière fée » de Catulle Mendès qui meurt parce qu’elle ne comprend pas le monde moderne et n’y trouve pas sa place).

Ainsi, Baudelaire est tiraillé entre deux forces antithétiques, le spleen d’une part, son mal-être existentiel et l’idéal, par définition à peine perceptible et inatteignable. C’est cette tension qui régit l’architecture complète des Fleurs du mal (voir « Histoire et structure du recueil »).


Romantisme, Parnasse, Symbolisme

Une des difficultés à lire Baudelaire, c’est aussi là que réside sa force, est qu’il ne se laisse pas enfermer dans un groupe littéraire particulier. Chronologiquement, il est trop « jeune » pour appartenir à la première génération des romantiques (Hugo, Lamartine, Vigny) et de toute façon ne se reconnait pas dans ce groupe, socialement aisé alors que lui côtoie la misère après sa mise sous tutelle. De plus, les premiers romantiques ont connu, et connaissent encore, un succès retentissant lorsque Baudelaire compose ses premiers textes, il est dès lors difficile de se faire une place en tant qu’artiste/poète à partir des années 1840-1850. L’esprit romantique peut être réduit, pour simplifier, à trois éléments essentiels :

  1. une exigence du bonheur, de vérité, de liberté et de plénitude qui répond chez l’individu au sentiment de sa propre valeur et qui se manifeste par une énergie passionnée ;
  2. la conscience désenchantée et souvent ironique de tout ce qui, dans la société, fait obstacle à l’épanouissement individuel : le règne du mensonge et de l’argent, du préjugé moral et de la tyrannie, la fuite inexorable du temps et l’incertitude de l’avenir, l’insatisfaction des désirs et la vanité de l’action.
  3. la volonté de dépasser l’échec par la méditation poétique, le voyage, le rêve, et l’exaltation de la nature mais aussi la révolte, le défi lancé au monde, la création artistique elle-même.

On le voit, Baudelaire répond, au moins partiellement à ces caractéristiques. Par exemple, le poème « Élévation » (FdM, III) montre cette aspiration au bonheur et à la liberté :

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,
Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l’air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins ;

Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
— Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !

L’obsession de Baudelaire pour le Temps, cet « obscur Ennemi qui ronge le cœur » (« L’Ennemi« , FdM, X) rend ce thème très présent dans le recueil comme en témoigne, par exemple le poème « L’Horloge » (FdM, LXXXV) :

Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible ;

Le Plaisir vaporeux fuira vers l’horizon
Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
À chaque homme accordé pour toute sa saison.

Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! — Rapide, avec sa voix
D’insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !

Remember ! Souviens-toi, prodigue !Esto memor !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or !

Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente ; souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.

Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard,
Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »

Enfin, les thèmes du voyage et de la nature sont aussi très présents chez Baudelaire. Par exemple le poème « Correspondances » (FdM, IV) :

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

Malgré ces éléments de concordance avec l’esthétique romantique, il serait toutefois erroné de lire Baudelaire comme on lit Hugo, il n’appartient pas à la première génération des Romantiques, mais à celle des auteurs qui se sont eux-mêmes nommés les « Petits Romantiques ». L’idéal rêvé des romantiques est toujours empreint, chez Baudelaire, d’une forme de mélancolie, plus ou moins présente, qui empêche l’abandon. Baudelaire hérite et se nourrit de ses prédécesseurs mais crée des voies poétiques nouvelles. Un des reproches fait par la génération suivant les premiers romantique à ses prédécesseurs est d’avoir dégradé l’art en le détournant de sa valeur première et en l’assujettissant à une idéologie particulière (voir, par exemple, Les Châtiments de Hugo, recueil à charge contre Napoléon III). Ce reproche est partagé par un groupe de poètes qui considèrent que l’art n’a d’autre fin que lui-même et créent donc le mouvement parnassien (du nom du Mont Parnasse, en Grèce, lieu de résidence d’Apollon et des Muses, divinités inspiratrices des poètes). Ces poètes, à la suite de Théophile Gautier (1811-1872), prônent « l’art pour l’art », la supériorité des beaux vers et de la musique. C’est une poésie souvent savante et érudite. Sans adhérer à ce mouvement, Baudelaire l’intègre tout de même à son art. Deux éléments, en témoignent de façon évidente, d’une part la dédicace à Théophile Gautier :

L’adjectif « impeccable » est employé avec son sens plein (Baudelaire était fin latiniste, il a fini second au concours de vers latin et un des poèmes des Fleurs du mal est entièrement composé en latin, « Franciscae meae laudes« , FdM, LX), ce terme signifie, étymologiquement, « celui qui ne peut pas commettre d’erreur », c’est dire si les poèmes qu’il composait était un modèle absolu (« maître et ami ») pour Baudelaire. Le poème « La Beauté » fait l’éloge de la beauté parfaite de la femme idéalisée :

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poëte un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poëtes, devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études ;

Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !

Pour finir, même si c’est légèrement anachronique (on en parle plutôt pour la poésie de Rimbaud [1854-1891] et de Lautréamont [1846-1870]), on peut considérer que Baudelaire fait figure de précurseur du symbolisme. En effet, les analogies qui rapprochent les individus d’animaux (« L’Albatros« , FdM, II, par exemple, compare le poète à ce « vaste oiseau des mer » que les hommes prennent plaisir à maltraiter « pour s’amuser »), les éléments qui éloignent l’angoisse de Baudelaire sont comparés à un chat (« Le Chat« , FdM, LI) et, au contraire, les éléments angoissants sont représentés par un bestiaire sombre et inquiétant, « d’araignées », de « chauve-souris » et « d’esprits errants » dans « Spleen » (FdM, LXXVIII). Enfin, plus subtilement, on trouve un foisonnement de symboles dans les évocations synesthésiques, comme dans le poème « Correspondances » (FdM, IV) :

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.


Bibliographie sommaire

  • O. Himy, Baudelaire, Les Fleurs du mal, Paris, Gallimard, coll. « Les écrivains du bac », 1993
  • G. Décote, J. Dubosclard (éd.), Itinéraires Littéraires – XIXe siècle, Paris, Hatier, 1988 (en particulier les pages 58, 286 et 306-309)
  • M. Sonnet, Th. Charmasson, A.-M. Lelorrain, Chronologie de l’histoire de France, Paris, PUF, 1994